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Technopolitique Comment la technologie fait de nous des soldats, par Asma Mhalla

Analyse approfondie de Technopolitique d'Asma Mhalla

 

I. Présentation générale de l'ouvrage

Asma Mhalla, experte reconnue en politiques publiques du numérique, livre avec Technopolitique : Comment la technologie fait de nous des soldats (Seuil, 2024) un essai d'une grande acuité sur le nouvel ordre technopolitique mondial.
Elle y explore comment les technologies disruptives — intelligence artificielle, réseaux sociaux, cybersurveillance — reconfigurent les rapports de pouvoir entre États, entreprises et citoyens.
Son approche transdisciplinaire mêle géopolitique, économie numérique, philosophie politique et anthropologie du pouvoir.

 

 

II. Une thèse provocatrice : la militarisation cognitive

Mhalla soutient que nous assistons à une militarisation des esprits :

  • Les individus sont devenus des "soldats" involontaires dans une guerre cognitive mondiale.
  • Les technologies de captation attentionnelle (réseaux sociaux, applications mobiles, IA conversationnelles) ne servent pas seulement à vendre des produits, mais influencent les croyances, biaisent les opinions, modèlent les comportements.

Elle rejoint ici les analyses de Shoshana Zuboff (The Age of Surveillance Capitalism, 2019), mais innove en affirmant que le champ de bataille est désormais mental et émotionnel, dépassant largement le cadre économique.

 

III. Big Tech et Big State : un nouveau complexe techno-politique

Mhalla décrit une hybridation du pouvoir entre :

  • Les Big Tech (GAFAM, BATX chinois) qui détiennent les infrastructures critiques (clouds, IA, cybersécurité, télécoms).
  • Les Big States (principalement États-Unis et Chine) qui les utilisent pour renforcer leur propre puissance stratégique.

Exemples marquants cités :

  • NSA et PRISM : exploitation massive des données personnelles par les agences américaines, avec la complicité des grandes plateformes privées.
  • Crédit social chinois : notation des comportements individuels par IA et surveillance omniprésente, instrumentalisant la technologie pour maintenir l'ordre social.

Complément ajouté :

  • Mhalla évoque également la guerre hybride que se livrent les grandes puissances (désinformation, manipulation électorale, sabotages cybernétiques) à travers les canaux numériques.

 

 

IV. Technologies ambivalentes : les dangers des utopies techniques

Asma Mhalla insiste sur l’ambivalence fondamentale des innovations :

  • La blockchain, les IA open-source ou les réseaux décentralisés pourraient permettre une réappropriation citoyenne des outils numériques.
  • Mais sans garde-fous, ces technologies renforcent paradoxalement les mécanismes de surveillance, de prédiction comportementale et d’ingénierie sociale.

Illustrations précises :

  • L'utilisation de la reconnaissance faciale dans les régimes autoritaires.
  • La marchandisation massive des données comportementales en Occident via le modèle du free-to-use/pay-to-surveil.

A noter que cette approche rappelle aussi les analyses de Evgeny Morozov dans The Net Delusion (2011), dénonçant la naïveté des visions techno-optimistes.

 

V. Le BigCitizen : une réponse politique nécessaire

Face à l’expansion asymétrique de Big Tech et Big State, Asma Mhalla propose la figure du BigCitizen.

Définition :

  • Un citoyen informé, politisé technologiquement, capable de déjouer les manipulations et de revendiquer ses droits numériques.
  • Il ne s'agit pas seulement d'exiger la transparence des algorithmes, mais de réclamer une gouvernance collective des infrastructures critiques.

Propositions concrètes du livre :

  • Intégrer l’éducation technopolitique dans les cursus scolaires.
  • Démanteler les monopoles technologiques (inspiration anti-trust, comme la lutte contre Standard Oil au début du XXe siècle).
  • Favoriser l’émergence d’écosystèmes numériques européens pour contrebalancer l’hégémonie américaine et chinoise.

 

 

VI. Réception critique : entre éloges et réserves

Points forts salués par la critique :

  • L’originalité de l’approche, articulant technique, pouvoir et subjectivité.
  • La clarté pédagogique de l’ouvrage, qui vulgarise sans simplifier.
  • L'appel au réveil citoyen, qui donne une dimension programmatique au livre.

Critiques émises :

  • Un ton parfois alarmiste, qui peint un futur dystopique sans gradation possible.
  • Un manque de solutions opérationnelles pour contrer la domination techno-industrielle de manière réaliste à court terme.

 

 

VII. Contexte biographique : pourquoi écouter Asma Mhalla ?

Asma Mhalla est une figure influente de la réflexion techno-politique contemporaine :

  • Enseignante à Sciences Po Paris et à l'École Polytechnique.
  • Ex-Consultante en stratégie numérique pour des institutions publiques et privées.
  • Productrice de l’émission CyberPouvoirs sur France Inter, vulgarisant les enjeux critiques liés aux nouvelles technologies.
  • Chercheuse associée au Laboratoire d'Anthropologie Politique (EHESS).

Son profil hybride entre recherche académique, conseil stratégique et médiatisation lui donne une légitimité rare dans l'analyse des dynamiques technopolitiques.

 

 

Conclusion générale

Technopolitique est bien plus qu'un essai critique :
C’est un manifeste politique, un appel au sursaut démocratique dans un monde où la technologie n’est plus neutre.
Mhalla démontre magistralement que notre liberté ne sera pas menacée par des tanks ou des fusils, mais par des flux de données invisibles et des algorithmes opaques.

Son livre s'adresse à tous ceux qui refusent la passivité numérique, et appelle à un renouveau de la souveraineté citoyenne à l'ère digitale.

Un essai décisif pour comprendre et agir face aux défis de ce XXIᵉ siècle numérique.

Bonne lecture à vous.