Arnaques au CPF, ça suffit !

Il ne se passe pas une semaine sans que je ne lise sur la toile ou dans la presse des témoignages d’arnaques au CPF, ou que je ne découvre, sur le site « moncompteformation.gouv.fr » des escroqueries patentes …

Concernant les arnaques « pures », le « phénomène » prend une ampleur hallucinante : selon la Caisse des Dépôts et Consignation (Source : Figaro – 30 mars 2021), « beaucoup de personnes ignorent s’être fait pirater »… 10 à 12 millions d’euros de crédit formation auraient  été détournés par des cyber malfaiteurs depuis plus d’un an. Et il y a fort à parier que cela ne soit que la partie émergée de l’iceberg.

Les techniques des arnaqueurs ? D’une remarquable efficacité … 

Chantage à l’embauche dans un contexte économique anxiogène (« Cette personne me dit qu’ils ont un poste à me proposer, mais qu’il faut faire une formation rapide en anglais »), proposition de mise à jour du solde CPF (communication des numéros de sécu à la clé…), intimidations diverses, les méthodes ont de quoi faire rougir Al Capone …

La parole des victimes se libèrent : en témoigne le Hashtag : #balancetaformation_ (sur Instagram), illustration du malaise et de l’ampleur des fraudes (et de l’imagination des fraudeurs).

Mais il est également question dans cet édito d’arnaques plus sournoises : l’usurpation de certifications, ou la déclaration d’actions certifiantes « de droit », pour rendre éligible une formation sans plus d’efforts que cela.

Un petit focus s’impose, avec rappel des règles édictées par la CDC et France Compétences.

Rendons d’abord hommage à ces deux institutions, et au législateur : la création du CPF, et de la « market place » qu’est la plateforme « moncompteformation.gouv.fr » ont tout d’alléchant.

Le dispositif de la certification professionnelle a en effet pour vocation de mettre en place un process de professionnalisation des Français, pour développer entre autres leur employabilité, favoriser leur évolution professionnelle, prendre en compte les métiers émergents, le tout sous le prisme du développement des compétences. Cibler les besoins réels et avérés du marché du travail, voilà l’idée. La bonne.

Le principe est donc remarquable, et ces deux institutions se démènent pour faire vivre un modèle que beaucoup de pays nous envient.

Hélas, et ce n’est pas faire preuve que de naïveté que de le constater, les escrocs s’engouffrent « tous azimuts » pour détourner le système, et s’enrichir à moindres frais « en tapant dans la poche » des fonds mutualisés de la formation professionnelle…

« Dura lex sed lex » : les règles édictées par la CDC et France Compétences sont certes contraignantes, mais c’est le prix à payer pour disposer d’un modèle optimum, et qui soit crédible.

Pour rendre une formation certifiante, et sans rentrer dans des détails trop « techniques », il faut en passer par les fourches caudines suivantes : 

1/ Soit enregistrer une certification à l’un des deux répertoires établis par France Compétences (RNCP ou RS) = délai d’instruction des demandes / 7 mois annoncés (Source : « Notice d’information » diffusée par France Compétences / Version juin 2021)

2/ Soit obtenir un accord de partenariat avec un organisme certificateur (= délégation de certification) (Source : « Guide méthodologique » diffusé par France Compétences / Version octobre 2021)

3/ Soit dispenser une action certifiante « de droit » : le bilan de compétences, l’accompagnement VAE ou encore l’action « Accompagnement et Conseils à la création ou reprise d’entreprise »

Et c’est là où le bât blesse …

Déclarer une formation certifiante sur la plateforme « EDOF » est un jeu d’enfant, car cette déclaration est … déclarative !

Autrement dit, en un clic, n’importe quel organisme de formation peut, par enchantement, déposer son offre et la rendre finançable par le CPF de ses (malheureux) clients !

Bien sûr, cet OF prend le risque de se voir rattrapé (à juste titre) par la patrouille … et de se voir condamné à de lourdes peines (amendes, voir emprisonnement), aggravées d’un signalement au procureur de la République, de déréférencement du site, de signalements à la DREETS et à France Compétences,  ..).

Et comment ne pas penser à toutes ces personnes qui financent leurs formations avec leur CPF, et qui n’obtiendront pas la certification promise …

Mais visiblement, vu l’ampleur des fraudes, la peur du gendarme n’effraie pas, ou peu …

Mettons-nous un instant dans la tête d’un décideur peu scrupuleux, à la tête d’un OF « Lambda » (j’aurai pu écrire « Delta », c’est également un dangereux virus après tout !) : 

-J’ai bien compris les dispositifs de financement de la formation professionnelle, le CPF en particulier

-J’ai surtout bien compris les contraintes pour y avoir accès … Et ni le courage, ni le talent ne m’étouffent

-Comment puis-je contourner le système, sans trop d’efforts ?

Pour s’éviter de longs mois de travail (rédaction d’une note d’opportunité concernant son projet de certification, synthèse de la valeur d’usage, écriture de référentiels de compétences et d’évaluations, prise en compte du champ du handicap dans les modalités d’évaluation, constitution de jury de certification, …), certains succombent donc à la tentation et mettent les doigts dans le pot de confiture … : 

1/ Formation rendue certifiante par la mobilisation d’une certification qui ne leur appartient pas, sans avoir l’accord de l’organisme certificateur (un clic, et zou … un jeu d’enfant je vous dis !), d’autant que les codes de certification sont en libre accès sur le site de France Compétence

2/ Formation « métier » rendue certifiante par la déclaration d’une formation « de droit » (« Accompagnement et Conseils à la création ou reprise d’entreprise »), alors que les règles sont on ne peut plus claires : 

« Règles d’éligibilité sur l’objet de l’action = Elles ne peuvent en aucun cas prendre la forme :

–          d’une action d’initiation ou de découverte d’un métier,

–          d’une action de formation à un métier ou une spécialisation d’un métier,

–          d’une action de conseil en entreprise autre que celle concernant directement la création ou la reprise d’entreprise,

–          d’une action de développement personnel. »

Source : Guide EDOF 2.11_Regles_eligibilite_action_Creation_reprise_d_entreprise 

Ainsi, avec un minimum de curiosité, on peut voir fleurir sur le site « moncompteformation.gouv.fr » des formations d’une durée d’un jour délivrant un … CAP (authentique !), des actions intitulées « formation au métier de … » déclarées comme actions pour création et reprise d’entreprise, des formations certifiantes sans accord de partenariat de l’organisme certificateur … 

La CDC et France Compétences sont bien évidemment conscientes de ce phénomène … et particulièrement mobilisées. Grand merci à elles.

Mais les arnaques sont tellement nombreuses qu’il leur est difficile de faire face, et on le comprend : cela confine à vouloir arrêter la marée avec ses bras…

Conclusion

En toute humilité, et pour être nous-mêmes victimes de ces agissements, je me permettrai quelques conseils :

1/ Organismes certificateurs, faite une veille active pour surveiller si des entités qui ne s’étouffent pas de déontologie ne vous « piquent » pas votre certification

2/ Particuliers voulant se former : respectez scrupuleusement les consignes/conseils donnés par la CDC et France Compétences

3/ Organismes voulant rendre leur offre certifiante : ne vous laissez pas décourager par ce qui semble être un chemin de croix… Le jeu en vaut la chandelle ! Ne négligez pas pour autant la piste du partenariat avec des organismes certificateurs qui ont des certifications « matchant » avec vos domaines d’expertises

Quant aux OF aux manières « peu orthodoxes », pensez aux risques que vous prenez et aux conséquences inéluctables …  « Errare humanum est, persevare diabolicum »

Matthieu Giacomino

Cofondateur de French Touch Attitude

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